source : Femme actuelle




Catherine BONNET , Pédo-psychiatre*
« Je continuerai à reconnaître la souffrance des enfants »

« En décembre 1998 , le Conseil départemental de l'Ordre des médecins me condamnait à 9 ans et un mois d'interdiction d'exercice , car trois pères et une mère , présumés agresseurs , avaient porté plainte , m'accusant de certificats complaisants , mensongers ou de dénonciations calomnieuses , alors que mes diagnostics de présomptions d'abus sexuels avaient été confirmés par des collègues hospitaliers . D'ailleurs , peu après , le Conseil national a annulé l'une de mes condamnations et réduit trois autres à 15 jours d'interdiction d'exercice et à un blâme . Mais , devenue un monstre qui aurait cherché à priver ces parents de leurs enfants , j'ai perdu ma clientèle . Pire : les enfants que je suivais ont subi de nouvelles agressions . Et l'affaire ne s'arrête pas là puisque six nouvelles plaintes sont en cours contre moi . Jamais mon travail ne m'a exposée à une telle vindict de la part de mes "pairs" . Mon combat contre la souffrance psychique des enfants ne date pourtant pas d'hier . C'est en 1983 que j'ai pris conscience de la réalité de l'inceste , lorsque mes collègues m'ont adressé des adultes que des années de thérapie n'avaient pu guérir de leurs blessures . La majorité d'entre eux avaient subi , pendant l'enfance ou l'adolescence , des violences physiques , psychiques ou sexuelles .

Des blessures que
des années de thérapie
ne peuvent guérir


J'ai constaté qu'ils avaient en commun de ne jamais s'être sentis reconnus en tant que victimes par leurs thérapeutes . Puis , au fil des années , le tabou de l'inceste s'est levé . Les patients que m'adressaient mes collègues étaient de plus en plus jeunes , de quelques mois à 7 ans . Lorsqu'un lien de confiance était établi , ils pouvaient sortir du silence et , au travers de jeux , de dessins , me confier les violences verbales qui accompagnent souvent les violences sexuelles . Soumis au chantage , culpabilisés , certains me disaient même « j'ai fait des bêtises » . Dans l'inceste , cette manipulation mentale inverse la culpabilité et peut retarder le moment de la révélation des faits . Mais les petites victimes développent des changements de comportements qui , souvent , alertent l'autre parent . Celui-ci consulte alors son généraliste qui m'envoie l'enfant . Dans 90% des cas , je peux établir un diagnostic à partir de leur examen psychique . Quand j'en ai la conviction , et comme l'autorise l'article 226-14 du Code pénal , j'adresse un signalement aux autorités judiciaires . Mais les agressions sexuelles chez les enfants de moins de 9 ans laissent rarement des traces génitales . S'agissant le plus souvent de pénétrations avec le doigt , les séquelles de ces traumatismes sont des " bleus psychiques " , que la justice et le Conseil de l'Ordre ne reconnaissent pas . Je continuerai , pour ma part , à écouter les enfants et à reconnaître leur souffrance . »
* Auteur de L'enfant cassé,éd.Albin Michel